L’équipe Night Watch a ainsi identifié quatre scénarios potentiels : Guerres commerciales, Grands accords commerciaux, Grandes puissances mondiales et Nationalisme affirmé.
Le scénario des Grands accords commerciaux prévoit le rétablissement des alliances traditionnelles, avec quelques ajustements possibles. Dans celui-ci, les tensions géopolitiques seraient apaisées et les dirigeants politiques parviendraient à trouver des accords (commerciaux) de grande ampleur. « C’est le scénario le plus optimiste, qui offrirait un environnement globalement porteur pour les marchés actions et l’économie », estime Jared Franz.
À l’opposé, le scénario des Guerres commerciales est caractérisé par l’isolationnisme et le recours accru à la coercition pour régler les questions de sécurité, avec, en guise de risque extrême, des conflits armés entre plusieurs grandes puissances. « Il s’agit là du scénario le plus pessimiste, où un conflit commercial pourrait dégénérer en conflit armé », explique Jared Franz.
Le scénario du retour des Grandes puissances mondiales repose quant à lui sur des pactes de non-agression entre les grandes puissances, chacune à la tête d’un bloc régional. « Imaginez un retour au temps des empires, dans une configuration où les États-Unis, la Chine et la Russie exercent sans partage leur emprise au sein de leurs propres sphères d’influence », ajoute Jared Franz.
Où en sommes-nous aujourd’hui, et de quoi demain sera-t-il fait ?
De l’avis de l’équipe Night Watch, l’ordre géopolitique mondial tel que nous l’avons connu ces dernières décennies a laissé place à un scénario de Guerres commerciales, dans lequel viendraient se cumuler des droits de douane élevés, des restrictions à l’exportation de certaines technologies et d’autres mesures protectionnistes susceptibles d’accélérer le processus de découplage économique et de réorganisation des chaînes d’approvisionnement. « Dans ce scénario, les grandes puissances, comme les États-Unis et la Chine, se livrent une bataille à la fois technologique et commerciale, mais sans aller jusqu’à la confrontation militaire », explique Tom Cooney.
Un enlisement d’un tel conflit commercial mondial pourrait freiner la croissance économique, tout en alimentant l’inflation, explique Jared Franz. « Ainsi, si les droits de douane sont maintenus pendant des périodes relativement longues, il faut s’attendre à ce que la croissance demeure au ralenti au-delà de 2025. En revanche, si des accords sur les droits de douane sont trouvés dans des délais relativement courts, alors une transition vers le scénario des Grands accords commerciaux semble plus probable. »
Combien de temps faudra-t-il attendre avant d’avoir plus de visibilité sur le nouvel ordre mondial ? Compte tenu de la complexité des négociations commerciales et du grand nombre de partenaires commerciaux qui traitent avec les États-Unis, les investisseurs devront se montrer patients, explique Tom Cooney. « Le monde est en pleine transition. Il a fallu des années pour bâtir le monde de l’après-guerre, et il faudra sans doute un certain temps avant qu’un nouvel ordre géopolitique mondial apparaisse et se stabilise. »
« L’Office of the United States Trade Representative (USTR) ne pourra pas renégocier les accords en vigueur avec 90 pays d’ici juillet, c’est-à-dire d’ici la fin de la trêve sur les droits de douane », ajoute Tom Cooney, qui précise qu’avec ses effectifs relativement limités, cette institution ne dispose pas des capacités suffisantes pour traiter rapidement de nombreux accords d’une grande complexité. « Ce processus pourrait prendre plusieurs années, en particulier avec les grands partenaires commerciaux des États-Unis, comme la Chine et de l’Europe. »
Pour rassurer les marchés, l’administration Trump devra sans doute s’efforcer d’annoncer dès que possible une série d’accords – même partiels. Cela a déjà été le cas pendant le premier mandat de Donald Trump, avec des pays comme le Japon, la Chine et le Brésil. Les États-Unis pourraient également décider d’allonger la trêve douanière au-delà des 90 jours annoncés, ce qui pourrait renforcer l’incertitude et ainsi alimenter la volatilité des marchés si ce report s’accompagnait d’une politique dite de la corde raide.
« Je m’attends à ce que l’administration Trump cherche à conclure rapidement quelques accords – plus faciles à négocier – avec le Japon et la Corée du Sud », estime Tom Cooney. « La renégociation de l’Accord États-Unis-Mexique-Canada sera quant à elle compliquée, et comme les négociations officielles n’ont pas encore débuté, il faudra se montrer patients. De la même manière, les négociations entre les États-Unis et l’Union européenne prendront plus de temps. Idem pour la Chine, qui est au cœur de ce confit et avec qui les pourparlers pourraient durer des années, le tout pour déboucher sur un « cessez-le-feu » seulement partiel. »
Des négociations prolongées pourraient peser encore plus sur l’économie et la finance mondiales. « L’absence de certitude pèse lourd dans la balance, analyse Tom Cooney. Les entreprises seront réticentes à réaliser des investissements sur le long terme si elles n’ont pas de visibilité sur le nouveau fonctionnement du monde. » Il faut donc s’attendre à ce qu’elles restent sur la retenue pendant un certain temps.
Et même si des accords sont conclus, les États-Unis s’exposent à une perte de crédibilité à long terme en tant que partenaire commercial garant du libre-échange, et en tant que dépositaire de la sécurité mondiale. « De la même manière, le dollar US et les bons du Trésor américain pourraient perdre leur statut de valeurs refuges », ajoute Tom Cooney
Quelles conséquences pour les investisseurs ?
Pour les investisseurs, le meilleur moyen de naviguer au travers de l’incertitude est de faire preuve de bon sens : autrement dit, veiller à ne pas s’accrocher à tout prix à une certaine vision du monde et se préparer à l’imprévisible, estime Jody Jonsson, Vice Chairperson de Capital Group et gérante de portefeuille actions.
Au sein de son portefeuille, Jody Jonsson s’efforce ainsi de trouver le juste équilibre entre sécurité et performance : « En cas d’issue favorable, les marchés pourraient repartir vivement à la hausse, comme on l’a vu le 9 avril dernier, après l’annonce de la trêve douanière de 90 jours. Le contexte oblige à être très attentif aux valorisations et aux dividendes – autrement dit, à suivre l’approche selon laquelle ‘l’ennui est vertueux’. »
Dans le secteur financier, par exemple, l’activité des compagnies d’assurance est indépendante de toute importation / exportation : aussi, des sociétés comme Chubb devraient globalement échapper à l’impact des droits de douane. Et sur les marchés dérivés, l’augmentation des volumes d’échanges favorisée par la volatilité du contexte profite à des opérateurs comme CME Group.
« Face à tous ces éléments, il paraît d’autant plus utile de disposer d’un portefeuille mondialement diversifié, car à ce stade, il est difficile de savoir si et quand des accords commerciaux seront conclus », ajoute Jody Jonsson.
Enfin, à partir du moment où les négociations commerciales commenceront à déboucher sur des accords pérennes, les investisseurs et les entreprises devraient avoir plus de visibilité, ce qui contribuera à améliorer le contexte d’investissement. Et Jody Jonsson de conclure : « Je pense que nous venons d’atteindre le plus haut niveau d’incertitude, et qu’à partir de là, la situation finira par s’améliorer. »